Je l'ai déjà mentionné dans certains de mes articles mais j'ai décidé d'en écrire un qui revient sur cette véritable supercherie orchestrée par Jamendo pour défendre son fonds de commerce.
Lorsque vous téléchargez un album sur www.jamendo.com le bouton "Télécharger" a en sous-titre : "C'est gratuit et légal pour un usage privé"
Que doit-on comprendre par usage privé ? fondamentalement l'usage privé s'oppose à l'usage public. Pour bien comprendre prennons l'exemple du principe de la copie privée qui est en fait une exception au droit d'auteur, en vigueur notamment dans Union Européenne (détail intéressant : sauf au Luxembourg). Le cadre de la copie privée est celui de la famille et depuis peu des "amis proches" (cas de jurisprudences en France). Ce principe est bien connu de tout le monde, notamment pour les films. Ainsi, "l'usage privé" est un usage qui par définition restraint l'utilisation d'une oeuvre, ici musicale, à un cadre familial ou cercle d'amis proches. Notez également que Jamendo associe en plus cet "usage privé" à une utilisation non-commerciale des oeuvres.
A présent que l'on sait de quoi on parle, Jamendo a-t-il le droit d'utiliser ce principe d'usage privé et est-ce compatible avec les licences libres Creatives Commons ? Rappelons déjà ce que sont les licences libres CC. Déjà soyons très clair : Creative Commons est un complément au droit d’auteur. Les CC qui s’adressent aux auteurs souhaitant :
- partager et faciliter l’utilisation de leur création par d’autres
- autoriser gratuitement la reproduction et la diffusion (sous certaines conditions)
- accorder plus de droits aux utilisateurs en complétant le droit d’auteur qui s’applique par défaut
- faire évoluer une oeuvre et enrichir le patrimoine commun (les biens communs ou Commons).
- économiser les coûts de transaction.
- légaliser le peer to peer de leurs œuvres.
(Source : www.creativecommons.fr)
Si vous avez bien compris cela, vous avez aussi compris qu'une licence CC (ou autre licence libre) ne remplace pas le droit d'auteur et ne permet donc pas de "protéger" les auteurs. Les CC ont deux objectifs : 1) permettre une diffusion sans entrave de la musique, comme souhaité par un auteur, et 2) protéger là les auditeurs/téléchargeurs/partageurs de ces auteurs (contre par exemple des outils répressif comme Hadopi). Une licence CC a toujours une mention BY (Attribution) obligeant à citer le nom ou le pseudonyme de l'auteur. Elle offre également une autorisation non exclusive de reproduire, distribuer et communiquer l’oeuvre au public à titre gratuit.
Une licence CC comporte aussi 3 options :
- NC (Pas d’Utilisation Commerciale, pour Non Commercial en anglais) signifie que le titulaire des droits se réserve les exploitations commerciales qui pourront être monétisées et négociées dans un contrat complémentaire. Sans l’option NC, le public pourra utiliser vos oeuvres à des fins commerciales sans demande d’autorisation préalable. La définition d’une utilisation commerciale dépend des cas et des secteurs.
- ND (Pas de Modification, Non Derivative en anglais) signifie que le titulaire des droits ne souhaite pas que son oeuvre soit modifiée sans son autorisation.
- SA (Partage à l’Identique, ShareAlike en anglais) implique que les utilisateurs qui modifient l’oeuvre distribuent la version modifiée selon la même licence.
(Source : www.creativecommons.fr)
Déjà on comprend que la notion "d'usage privé" telle que définie plus haut n'existe pas pour les licences CC. En fait, elle existe seulement si un auteur décide de diffuser ses créations uniquement contre rémunération, là c'est le régime général du droit d'auteur qui s'applique, par exemple pour ceux inscrits à la Sacem. Et c'est bien normal, car un artiste qui fait le choix d'ajouter une licence CC le fait car il veut diffuser plus librement sa musique. Restreindre ensuite ces mêmes "droits étendus" par une notion "d'usage privé" n'aurait alors aucun sens.
Également, on comprend que la mention par Jamendo d'un "usage privé" ne peut pas non plus souffrir l'argument de la diffusion non-commerciale d'une oeuvre. Prenons un exemple : un auteur choisi la licence CC-BY-SA-ND. Dans ce cas, le public peut tout-à-fait utiliser son titre ou album publié sous cette licence à des fins commerciales sans demande d'autorisation préalable. Donc là encore, le principe d'un usage privé opposé à un usage commerciale ne peut pas s'appliquer, c'est impossible.
Mais alors, pourquoi Jamendo a introduit cette notion "d'usage privé" ? Tout d'abord, il faut savoir que Jamendo vit à 95% de son activité de vente de licences CC+ (ou licensing). Avant de revenir sur ces CC+, notez que c'est par la plateforme pro.jamendo.com (JamendoPRO) que cela s'effectue. Donc un artiste qui s'enregistre chez Jamendo et uploade son album, choisira obligatoirement une licence CC qui s'appliquera pour le site www.jamendo.com. Mais il peut s'il le souhaite céder de manière non-exclusive la gestion de l'usage commerciale de son album. Sur le papier, JamendoPRO se contente de vendre son album à ses clients pour divers usages et reverse une partie de ces revenues à l'auteur. On comprend dès lors que Jamendo a tout intérêt à introduire une notion "d'usage privé" auprès aussi bien de ses clients que de ces auditeurs lambda. Sauf que, vous l'aurez compris, celle-ci est une pure invention de Jamendo et n'existe pas dans les licences CC.
Qu'est-ce que ces licences professionnelles CC+ ? Fondamentalement c'est très simple, tout comme une licence CC s'ajoute à vos droits d'auteur, une licence CC+ s'ajoute à votre licence CC et permet plus de permissions pour un usage commerciale et une monétisation de vos oeuvres (Source : wiki.creativecommons.org/CCPlus). Par exemple, un auteur distribue sur www.jamendo.com son oeuvre en CC-BY-NC. Il s'inscrit aux programmes JamendoPRO et signe un Contrat de distribution PRO (une licence CC+ en somme). Et bien désormais pour les clients utilisant le site pro.jamendo.com il devient possible de passer outre la restriction NC (non commercial) et même la clause BY (soit pour rappel l'obligation de citer le nom de l'auteur) n'est plus prise en compte. Le but est de permettre aux entreprises (avec l'aval des auteurs qui signent ce genre de contrats) de fournir un outil plus souple et permettant moins de contraintes pour vendre des licences. (Source : wiki.creativecommons.org/CCPlus)
Ce n'est pas l'aspect le plus glorieux des CC ni la meilleur idée de la Fondation Creative Commons. Mais ça existe, le tout est d'être bien au courant. Et là aussi le bas blesse pour Jamendo, qui a une communication très floue sur le sujet. Car vous comprenez bien que ces licences CC+ causent par la suite un problème aux artistes voulant sortir du système. Prenons là encore un exemple : un auteur diffuse un titre sous CC-BY-ND-SA-NC. Par JamendoPRO il ajoute en plus une licence CC+. Sur le site pro.jamendo.com, un client achète une licence CC+ de son single pour une durée de 2 ans. Mais au bout d'un an, quelqu'un repère son titre sur www.jamendo.com et décide de négocier en direct une utilisation commerciale contractuelle avec l'auteur (ce que permet la clause NC). Et bien le client JamendoPRO, détenteur de la licence CC+ est alors en droit d'interdire une telle utilisation, de par les droits très souples de sa CC+.
Pour conclure, il est clair que Jamendo donne là une image fausse et trompeuse des usages permis par les licences CC (et plus globalement de la Musique Libre) auprès de ses auditeurs. Communication déficiente et source de confusion que cautionne apparemment bon nombre d'artistes présent sur Jamendo. Ce qui est tout aussi condamnable.